Les cerises. Mon grand-père. Et Paul Watzlawick.
Descendue au jardin pour prendre quelques feuilles de menthe pour faire du thé. En passant, manger quelques fraises. Et cueillir quelques cerises. Il pleuvine. Je suis fatiguée. Est-ce que mon grand-père a planté cet arbre en pensant à ses petits-enfants ?
Mon grand-père, ce qu’il aimait parler ! Toujours les mêmes histoires dont il ne se lassait pas ! Elles commençaient toujours par poser un contexte, partie qui pouvait prendre beaucoup de temps : origine, descendance, pédigrée et fonctions passées et actuelles de la personne jouant le rôle secondaire dans son récit. Ensuite commençait l’action : cette personne chargeait une voiture, plantait un arbre ou taillait la vigne. Tadadam, mon grand-père le super héro arrivait et expliquait au rôle secondaire qu’il ne fallait pas faire comme ça, pourquoi il ne fallait pas faire comme ça et comment il fallait faire. Et l’histoire finissait toujours par un « Merci, heureusement que tu m’as expliqué comment il fallait s’y prendre ! ». Et ensuite, il embrayait sur une autre histoire. A force, je n’écoutais plus. Je caricature surement un peu, mais il avait toujours raison, les autres avaient tout faux.
Qu’est-ce qui aurait changé si j’avais eu un grand-père comme Paul Watzlawick ? Si mon grand-père m’avait raconté les histoires de Paul Watzlawick ? Par exemple, celle de Franzi Wokurka de Steinhof, une petite ville d’Autriche. « Franzi Wokurka était assis dans le parc Beethoven, à Steinhof, en face d’un grand parterre de fleurs, quand il vit une pancarte portant l’inscription « Ne pas dépasser cette limite. » Ce qui le ramena à un problème qui le préoccupait de plus en plus depuis quelques années. Une fois de plus, il se trouvait dans une situation qui ne semblait laisser le choix qu’entre deux possibilités, toutes les deux inacceptables. Ou bien il se montrait libre face à cette interdiction opprimante, et commençait à marcher dans les fleurs – en risquant de se faire prendre -, ou bien il restait à l’extérieur du parterre. Mais la seule pensée de faire preuve d’autant de lâcheté, d’obéir à cet écriteau stupide, lui fit bouillir le sang. Il resta longtemps là, devant la pancarte, indécis, ne sachant à quel saint se vouer, jusqu’à ce que, tout à coup, peut-être parce qu’il n’avait encore jamais regardé des fleurs assez longtemps, une idée totalement différente lui vint à l’esprit : « ces fleurs sont magnifiques. »
Je ne saurai jamais ce qui aurait changé si j’avais eu un grand-père comme Paul Watzlawick. Aujourd’hui, je mange les cerises du cerisier que mon grand-père a planté en lisant les histoires de Paul Watzlawick… Que rêver de mieux ? Raconter les histoires de Paul Watzlawick à mes enfants en mangeant les cerises du cerisier que mon grand-père a planté ?
Paul Watzlawick, Comment réussir à échouer – Trouver l’ulrasolution, Edition du Seuil 1988