Istanbul
Il fut, et ne fut pas, un temps, dans un pays pas si lointain, un peuple au creux de montagnes immenses qui bouchent l’horizon. Il n’y a pas si longtemps, la vie y était rude et les gens pauvres. Puis, les vagues du progrès ont amené le chemin de fer, les usines, les rumeurs des guerres. La vie devint plus belle.
Aujourd’hui, les villas avec thuyas fleurissent sur la plaine et les voitures prolifèrent. Les routes s’engorgent, la ville toussote, les montagnes se vident. Les gens sont fiers d’être le peuple des montagnes. Mais ils ne rêvent plus.
Au milieu de ce peuple, une femme, essoufflée. Elle aime sa vallée pourtant, elle aime appartenir à ce peuple de montagnards bourrus. Mais elle se demande ce que cela signifie, être fier d’appartenir au peuple des montagnes. A quoi bon être fier, si c’est pour ne rien entreprendre de nouveau et se vautrer dans le passé. Elle se dit que la fierté, elle ne devrait pas servir seulement à parader parce que l’on vient d’un endroit où les vaches sont reines et où les caractères de nos pères étaient bien trempés. La fierté, elle devrait donner de la force, des idées nouvelles, permettre un autre monde. L’envie de faire mieux. Ce qui devrait caractériser le peuple des montagnes, ce n’est pas notre résistance aux idées et aux lois imposées de l’extérieur, mais nos idées et nos contributions à l’extérieur. Mais les cris qui s’élèvent de sa vallée, ce sont des cris et des grincements de dents, des plaintes et des pleurs d’enfants trop gâtés.
La femme attend un souffle nouveau, autre chose que des murs de thuyas et de croyances qui séparent les gens. Mais les femmes de ce pays sont silencieuses par nature… Il n’est possible que d’en « dessiner un portrait auquel il manque la bouche » (1). Elle appartient à ces femmes, à cette malédiction. Elle se sent immensément impuissante. Elle revoit les hommes rirent de ses idées, elle les revoit lui dire « tu as tort » comme pour lui ordonner de se taire.
Alors la femme essoufflée quitte cette vallée étouffante. Istanbul. Facile de prendre l’avion et de trouver un hôtel, quelques clics suffisent. Et c’est le débarquement dans ces 16 millions d’habitants. Dans la vie qui grouille, dans la vieille ville avec ses marchands de tapis, ces cireurs de chaussures à touriste, ces kebabs à l’agneau, ces mezes incroyables, ces échoppes, ces repas pris sur le coin d’une table, ce bruit, ce monde qui dérange et qui inspire.
La ville est bruyante et attire son regard dans chaque recoin. Les gens la hèlent, les gens la dépassent, les mouettes sont à l’affut et les chats se regroupent le soir près des containers. Les cargos emplissent la nuit de leur pétarade régulière. Le ciel est clair, le Bosphore bleu. Les mosquées sont magnifiques et les appels à la prière languissants retentissent tels des sirènes. Istanbul.
Les mouettes sont restées à Istanbul. Elle s’habille chaudement pour sortir dans le froid et la neige de novembre. Elle oublie son livre sur le siège et sort de l’avion.
Après un long voyage en train, la voilà de retour dans son silence, dans son pays, dans le pays des hommes des montagnes. Que le silence semble fort. Que les montagnes semblent puissantes. Que les rues sont désertes. Les oiseaux ne chantent plus, il fait trop froid.
Istanbul n’a pas donné sa réponse. Istanbul est milles réponses. Elle repense souvent à cette ville, immense. A son histoire et à ses contradictions. A ses odeurs et à ses bruits. Elle se souvient que dans le livre oublié dans l’avion, chaque stambouliote a la bouche grande ouverte, et parle, chante, crie, claque les portes, même si leur vie est avalée par la ville.
(1) A l’ombre de la Dixence, Marie-France Vouilloz Burnier
Voilà une belle invitation au voyage !
« La fierté, elle devrait donner de la force, des idées nouvelles, permettre un autre monde ».
En effet, la fierté n’offre bien souvent aucune perspective d’ouverture mais plutôt un repli sur ses positions. L’humilité et le respect, accepter d’apprendre d’ailleurs, l’échange sont les clés d’un monde meilleur.
Je te souhaite d’excellentes fêtes.
oui, j’avais envie d’une nouvelle manière d’appréhender le mot « fierté ». Belle fête à toi aussi !