Avalée
Fin juin, on a chargé la voiture et on a pris l’autoroute. Direction le sud. Quel bien fou d’être étranger, d’être de passage, d’être vivants, d’être explorateurs… De se perdre dans des montagnes sans chemin… de jouer avec les vagues…
Mais les petits bonheurs ont une fin. Retour à la maison. Direction le travail. Les jours suivants, je ne peux faire autrement, une fois le petit au lit, je m’assieds devant mon ordinateur, jusqu’à tard le soir, pour passer en revue les offres des agences de voyage. La journée, je fais et défais les différents scénarios possibles, je pose des critères, je les élimine, je passe au crible ma destination coup de cœur, je scrute les agendas…
Je m’épuise. Mais plus rien d’autre ne compte. Je tends tout entière vers ce but: m’aménager une fenêtre dans le futur vers un départ. Je ne lis plus, je ne mange presque plus, je dors peu, c’est seulement quand je vais me coucher que je me rends compte que je respire encore… J’ai l’impression d’être un plancton avalée par une baleine…
Deux semaines plus tard, les billets d’avion et l’appartement sont réservés. Et depuis, je m’interroge. Mon quotidien est-il vraiment si insatisfaisant ? Est-ce vraiment si dur de me projeter dans ma vie de tous les jours, dans mon travail, que j’aie une telle urgence d’organiser ma prochaine fuite ? Mon prochain bol d’air ?
Finalement, je fais peut-être partie de ces millions de gens qui tentent de tenir le coup, de résister en « disparaissant de soi ». David le Breton, professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg, interrogé par le journal Le Temps, dit être hanté depuis des années par le thème de la «blancheur». A savoir l’envie de disparaître lorsqu’on arrive à saturation, la tentation d’échapper à la difficulté d’être soi dans un monde de contrôle, de vitesse, de performance, d’apparences. Ce serait devenu un besoin vital…
«La blancheur est un engourdissement, un laisser-tomber né de la difficulté à transformer les choses.»
David le Breton
tes échos, comme des baumes…
Superbe … c’est inouïe comme cette blancheur nous happe du quotidien …
Est-il préférable de ne pas s’en rendre compte ? Quel drôle de question… S’en rendre compte permet de poser un choix… oui ou non à la blancheur…
Oui mais jai tendance à croire que quelque chose nous rattrape dans le déni de la blancheur … il y a bien un événement qui nous en sort a un moment donné et nous mets face aux couleurs 😊… de l’existence.
Merci à toi d’avoir partagé cette réflexion Green Norden. J’ai quelquefois moi aussi ressenti ce besoin d’effacement pour me soustraire à l’emprise d’une société que je trouve souvent écrasante et dominatrice. Je pense à Laborit et son Eloge de la fuite comme instinct de survie. Peut-être faut-il parfois en passer par là et ne pas se condamner si c’effacer un peu pour mieux revenir. Et puis, il y a les belles choses et les belles personnes comme toi qui me rappellent que c’est aussi ça, la vie. Ne pas s’effacer, s’ancrer dans le présent implique l’émerveillement et le désir. La difficulté est de trouver le moyen de les entretenir encore et toujours dans toute chose. Je me lève chaque matin en me demandant ce que cette journée me réserve de surprises. Bises ! 🙂