Comme je suis magnifique !

On mangeait une glace. Sorbet chocolat noir. Une terrasse une fin de dimanche après-midi bien chaude. Avril. Ma belle-soeur avait ses mains posées sur son ventre de femme enceinte bien mûr. Elle avait son petit regard de souris traquée, mais elle était magnifique avec son chapeau de paille et sa robe rose cerise. D’ailleurs, elle aimantait tous les regards de la terrasse. Sa mère était là aussi, avec son petit visage de lutin et son sourire malicieux. Les garçons jouaient avec les petits dans le jardin en contrebas. On discutait. De l’arrivée de ce petit frère, de ses craintes par rapport à la réaction de l’aîné. De nos familles. De comment c’était. Avec nos frères et sœurs respectifs. Quand on était petit.

Et là, j’ai revu les mauvais côtés de la grande sœur que j’ai été. Pour ma décharge, je dirais que j’ai fait du mieux pour me protéger et pour être aimée. Et que j’ai certainement eu des bons côtés aussi. Mais ce que j’ai vu sur cette terrasse ensoleillée, c’est une grande sœur autoritaire, pas vraiment complice avec ses deux frères et sa sœur. Et ce que j’ai vu aussi, c’est que je ne voulais pas jouer ce rôle. Les meilleurs moments, c’est quand je dansais dans le vent ou sous l’orage, quand je partais à l’aventure sur mon vélo avec mes frères ou avec ma copine, dans le petit bois d’à côté. Quand je dévalais les pentes de la montagne en courant et en sautant, quand je me perdais sur les sentiers parce que je partais à l’aventure.

Et tout d’un coup, j’ai compris ma colère vis à vis de ma maman. Je voulais faire des bêtises avec mes frères, me battre avec eux, ne pas vouloir me coucher le soir, avec eux. Et je voulais tellement danser !

Mais je n’ai pas pu… « Les cours de danse, c’est trop cher, et il faut t’y amener en voiture. Et je n’ai pas le temps. Aide-moi à faire ceci, cela… » Ma maman m’a inscrite à la gym du village. On a fait des roulades dans le gazon durant tout le cours et j’ai détesté ça. Ma maman faisait ce qu’elle pouvait. Et moi, j’ai fait une croix sur la danse.

Depuis cette fin de dimanche après-midi, depuis ce sorbet au chocolat noir, je me réfugie souvent dans les toilettes pour me prendre dans les bras. Je suis une herbe au milieu d’un pâturage… éphémère sous le ciel de l’été, secouée par l’orage, en attente du retour du soleil. Ma colère s’est envolée comme un papillon. Mais elle a laissé dans l’air le parfum tenace de la mélancolie.

Et, depuis, presque chaque soir, je danse et je me trouve magnifique!

  1. On n’écrit pas l’histoire, on la vit n’est-ce pas?
    Ces mots me sont venus au deuxième paragraphe. Et ont bellement teinté la suite.
    Un beau texte, Green. De candeur et de générosité. Celles qu’on reconnaît.

    1. On la vit, on la regarde, on l’écrit, cette vie qui nous file à travers les doigts, impossible à retenir, impossible à changer… Et cette prise de conscience m’amène à faire attention à chaque moment, chaque parole, pour préserver sa beauté… un sacré challenge…

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