La disparition

Les gens qui disparaissent le font soit lentement, soit brusquement. On les efface, ou ils s’effacent. Généralement, c’est un mélange des deux. Ma disparition a débuté il y a longtemps, très longtemps. Mais je ne m’en suis rendu compte que dernièrement. Cette rencontre avec mon inexistante a été une prise de conscience surprenante et douloureuse.

Tout a commencé précisément ce jour-là. Je ne me rappelle plus si c’était l’automne, le printemps, l’été. J’étais trop petite. Mais je me souviens qu’il faisait assez chaud pour aller me promener avec mon oncle préféré. Je le trouvais beau et doux. Mais dans le pré, je ne comprenais plus rien du tout. Et depuis ce dimanche matin-là, ma vie a basculé. Les personnes douces et bonnes pouvaient être mauvaises et me faire du mal. Et les personnes sensées me protéger ne le pouvaient pas. J’ai connu la solitude si jeune, je suis devenue adulte si vite. Mais ça, la petite fille que j’étais a décidé que personne ne devrait le savoir.

Mon processus de disparition est intimement lié à la parole. Celui/celle qui ne parle pas, ne partage pas, a toutes les chances du monde de ne pas être remarqué/e. Pour augmenter mes chances, je rentrais ma tête dans mes épaules. « Elle est timide ! » et ça m’arrangeait bien.

Le paradoxe, c’est que malgré cette envie de me couper du monde, j’ai toujours eu un terrible besoin des autres. Ce besoin d’être aimé, consolé, pris dans les bras, ma raison, mon instinct de survie ne me le permettait pas. Je partais dans mes rêves, je m’inventais des amis, des aventures où j’étais l’héroïne adulée et admirée.

Cela a duré des années. Cette stratégie basée sur la peur a fait naître une sourde colère vis à vie de ma famille. Personne ne me comprend, ne voit au-delà du masque terne que je porte.

Allez savoir pourquoi, la vie m’a toujours appris qu’il y avait autre chose. Il y a eu ce flash si intense qui m’a fait toucher l’amour et la beauté du monde, cet espoir si fort que tout était possible, et ces rencontres qui m’ont tant apporté et tant appris, et cet homme qui m’accompagne depuis, et ce petit gars qui rigole si fort dans nos vies.

Finalement, ce dimanche matin était bien loin, ma vie si belle, si je mets de côté mon insatisfaction dans ma vie professionnelle.

Mais voilà que cet après-midi-là, je reçois un mail, transmis par mon frère, à ma mère, qui le transmets à mon autre frère, à ma sœur et à moi…

Bonjour                  et               ,

J’ai grand mal à te joindre.

Juste pour vous dire que l’            est intéressé à ce que nous couvrions ton                et racontions ton histoire à leurs lecteurs !

          – qui nous lit en copie – et moi nous réjouissons !

Du coup, nous aurions aimé pouvoir parler à tes parents et à ton frère et ta sœur pour nourrir ce nouveau texte.

Auront-ils du temps pour nous le jour dit ?

Merci de ta réponse et une belle journée à toi.

Une douleur subite, intense, incompréhensible m’a submergée. Le journaliste ne m’avait pas citée dans son mail, il ne parlait que de mon frère et ma sœur, déjà « médiatisés ». J’ai été pleurer dans le bureau d’à côté. J’ai pu regarder cette douleur droit dans les yeux puis je lui ai dit adieu. J’ai compris. J’avais disparu. J’avais réussi.

 

  1. Moi qui croyais que ton absence
    s’était faite sans mots.
    Et qui te croyais prise
    par ta vie de famille.
    Je ne lis qu’aujourd’hui
    ceux où tu l’annonçais.
    Merci, Green.
    Pour la candeur et la beauté.
    Et je pars lire ceux de l’instant.

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